Alphée DeSilva [100%]

« Chère Sœur,
Comment te portes-tu ? J'espère que les parents vont bien également. Sont-ils toujours aussi butés ou ont-ils enfin arrêté de te rabâcher que leur fils est un idiot ?

Je viens de signer un nouveau contrat de mannequinat qui va m'envoyer au bout du monde pour quelques semaines. Comme tu le sais, je suis un oiseau voyageur mais n'ai crainte car je reviendrai toujours à mon nid.
J'ignore pourquoi je ressens le besoin de t'écrire cette lettre. Il faut croire que plus je m'éloigne de vous et plus je ressens la nécessité de vous sentir près de moi, les parents et toi. Il s'agit là d'un sentiment paradoxal. Néanmoins, je sais que je peux me livrer à toi sans crainte et que quel que soient mes mots, tu les liras jusqu'au bout. Je t'en remercie.

Récemment, je me laisse aller à repenser à notre enfance. On peut dire que nous avons eu une jeunesse dorée. Naître dans la capitale américaine, d'un couple riche à n'en plus pouvoir et vivre au sein d'une maison digne d'un palace. Quel enfant pourrait s'en plaindre ?
Parfois, je me dis que ta vie d’aînée n'a pas du être simple lorsque mon frère et moi inventions toutes les bêtises possibles et imaginables. Il faut dire qu'à cette époque, nous avions une imagination et une énergie débordantes. Je te revois encore nous courir après en nous criant de nous arrêter et de respecter les règles. Je nous entends encore, mon frère et moi, rire aux éclats tandis que nous accélérions pour te semer. Les parents ne manquaient jamais de te sermonner pour avoir failli à ton devoir d'aînée. Nous avons été des frères difficiles, j'en suis bien conscient. Et pourtant, lorsque tu pleurais dans ta chambre après que les parents se soient montré trop durs envers toi, nous venions toujours te consoler et te redonner le sourire. Chère sœur, tu à le rire le plus pur que j'ai pu entendre dans ma vie. N'oublie jamais que malgré tout, nous t'aimons profondément. Après tout c'est ainsi la famille, n'est ce pas ?

Tymaël me manque tellement. Lui et moi étions inséparables, les deux pièces d'une même face. Lorsque j'étais enfant, je pensais naïvement que nous passerions l’entièreté de notre vie ensemble et que, comme nous somme nés ensemble, nous mourrions ensemble. La présence de ce frère à mes côtés me manque plus que tout et crée un vide dans mon cœur que je ne parviens à combler.
Te souviens-tu du jour ou j'ai perdu mon œil ? Nous n'avions qu'une dizaine d'année et nous avions parfois des jeux de garçons violents et idiots. Nous étions encore des gamins sans aucune conscience des risques. Je me remémore parfaitement la douleur de ce caillou tranchant qui vint heurter mon œil après qu'il me l'ait lancé au visage. Je me souviens du cri de notre mère, de la colère de notre père et de la culpabilité de mon frère. Quand j'y repense, il me semble que maman cria encore plus fort lorsque Tymaël récupéra le caillou pour taillader son propre œil à son tour. Malgré la douleur intense et le sang qui coulait sur notre visage, nous avons tellement rit cette fois là. C'était comme si, par son geste, mon frère avait prit la moitié de ma douleur.

C'est sans doute un peu cliché pour des enfants issus d'un milieu aisé mais nous avons toujours été passionné de mode. Lorsque nous avons commencé à nous montrer sur les réseaux, nous ne cherchions qu'un nouveau passe-temps. Ce n'était qu'un jeu qui est peu à peu devenu notre métier. Notre ascension fut fulgurante et je sais que tu en as été un peu jalouse. Nous n'étions que des adolescents et tandis que tu travaillais dur pour reprendre un jour les rennes de l'entreprise familiale, nous nous amusions avec insouciance.
Nous aurions pu avoir une vie heureuse et riche, main dans la main. Avec lui à mes côtés, jamais n'aurais-je eu à ressentir le poids de la solitude. J'ai beau l'aimer du plus profond de mon cœur, je n'arrive pas à lui pardonner d'être tombé amoureux. Lui qui n'avait aucun secret pour moi m'a dissimulé une part tellement importante de sa vie. Je n'ai jamais connu cet esclave sauvage, ce fuyard, duquel il s'est éprit mais si un jour nos chemins se croisent alors je ne pourrai résister à l'envie de le détruire de mes propres mains, lui, cet inconnu qui m'a enlevé mon frère.
Lorsqu'ils se sont fait prendre, j'étais persuadé que les parents remueraient ciel et terre pour sauver leur enfant de la « justice » mais ils n'ont rien fait. Oh, si tu savais comme je leur en veux pour ça. Ils ont laissé leur fils, mon frère, se faire emprisonner derrière d'épais barreaux glacés. C'est comme si ils avaient également mis en cellule une part de mon âme ce jour-là.
Tu sais à quel point j'en ai voulu à cette société de m'avoir si violemment privé d'une part de moi. Tu te souviens à quel point j'ai pu déverser ma haine sur les esclaves suite à ça bien que les pauvres ne soient responsables de rien. Oh, tu sais à quel point j'ai été blessé et perdu. J'ai pleuré tant de fois dans tes bras sans que jamais tu ne parviennes à pleinement me consoler.
Et puis, la vie semble parfois vouloir vous dire d'avancer. J'ai signé mes premiers contrats en tant que mannequin et grâce à ça j'ai pu m'éloigner de la maison alors que je n'étais encore qu'un jeune homme tout juste majeur. J'ai voyagé, j'ai découvert le monde, j'ai ouvert mon esprit et mon cœur a pu s'apaiser doucement. Néanmoins, jamais rien ne pourra entièrement le guérir.

Chère sœur, j'espère que la maladie ne te fait pas trop souffrir.
Après m'avoir enlevé mon frère, j'ai eu si peur que la vie ne décide de te voler à moi à ton tour lorsque le diagnostic est tombé. Les maladies dégénératives sont les pires. Les parents ont bien vite compris que tu ne pourrais plus les succéder un jour et on aussitôt reporté tous leurs espoirs sur moi. J'ai beau les aimer de tous mon cœur, parfois il me débectent. Je suis désolé d'avoir fui le foyer familial et de m'être tant éloigné alors que tu avais besoin de moi mais je me sentais étouffer auprès d'eux.
Je t'en ai voulu, tu sais. Comme un gamin idiot et meurtri, je t'en ai voulu d'être malade. Te voir triste et souffrante me révoltait tant. C'est idiot, je le sais bien mais tu sais à quel point ton frère peut se montrer bête parfois et ce, malgré le fait qu'il ne soit plus un enfant à présent.
Ma sœur, un jour tu ne seras plus capable de lire mes lettres ni de les comprendre mais n'ai crainte. Ce jour là, je serai là, près de toi. C'est une promesse. Si les parents en viennent à se détourner de toi, jamais ton frère ne t'abandonnera. Si un jour tu en viens à m'oublier ou à t'oublier toi-même, je raviverai ta mémoire. Lorsque tu arpentera le chemin menant au ciel, je tiendrai ta main dans la mienne. Alors tu n'as pas à craindre l'avenir. Pose toute ta confiance en moi et apaise ton cœur de toutes ses angoisses.  

Je t'embrasse tendrement, mon Eléonore.
Embrasse les parents pour moi et rassure-les car je rentrerai bientôt à la maison.
Vous êtes ma précieuse famille et je vous aimerai infiniment, pour l'éternité.

Bien à toi,
Alphée. »