Kleo [100%]

Les murs qui l'entourent sont d'un blanc pur.  Il se tient là, allongé dans ce lit aux draps immaculés. Le silence est assourdissant et résonne dans ses tympans. Au loin, il entend un cri d'effroi qui lui glace le sang, puis le cri se transforme en sanglot...en supplique...et après quelques secondes, plus rien. Le silence à nouveau, lourd et pesant. Ses oreilles bourdonnent et sa tête commence à tourner. L'odeur de chlore et de javel inonde ses narines, lui donnant la nausée. Il veut porter une main à son visage mes ses mouvements sont entravés. Le métal glacé de ses chaînes lui enserrent douloureusement les poignets et les chevilles. Une lumière vive s'allume au dessus de son visage, le forçant à fermer ses yeux dans une grimace. Une voix est proche, toute proche. Elle lui parle, à moins qu'elle se se parle à elle même. Il l'ignore. Il ne comprend rien, pas un mot. L'acier affûté transperce sa peau. Il rouvre les yeux dans un gémissement étouffé et son regard se pose sur un être masqué et encapuchonné. Son cœur s'emballe à cette simple vision. La lumière toujours aussi vive le force à plisser les yeux. Il se débat mollement, entravé par ses liens, tandis qu'un liquide bouillant inonde ses veines. Il se sent mal, terriblement mal. Il gémit et ses suppliques restent vaines. Une douleur vive prend soudain naissance au creux de ses reins. Son cri lui vrille les tympans et le réveille alors. Il se redresse vivement, à bout de souffle. Comme à l'époque son visage est en sueur et des larmes salées coulent sur ses joues brûlantes.
Titubant, il se relève et tombe contre le mur. Sa respiration est haletante, son cœur bat douloureusement dans sa poitrine et ses yeux sont vitreux. Son corps tout entier lui est douloureux. Ses muscles le brûlent à chaque mouvement et il a la désagréable sensation que ses os s'effritent et se brisent, la douleur le transperçant. Il tremble et commence alors une lutte mentale acharnée afin d’éviter la crise convulsive. Le noir de la nuit qui l'entoure l'effraie, lui donnant la sensation que le danger peut surgir de n'importe ou et abattre sur lui de ses mains glacées. Un frisson remonte le long de son échine et il lui semble entendre des murmures autour de lui. A tâtons, il cherche la lumière, en vain. Après quelques secondes lui ayant paru une éternité, ses jambes cèdent sous son poids et il se retrouve au sol. Sa conscience se dissipe peu à peu et comme toujours, ces quelques mots lui reviennent : « Pardonne-moi ».
Ce sont les mots de sa mère. Tout du moins, il en a la conviction profonde bien qu'il n'en est aucune certitude. Après chaque cauchemar, elle vient le cueillir et l'apaiser de sa voix douce et rassurante. Cette fois, il sombrera dans un sommeil sans rêve. Un sommeil fait de néant.


Comme beaucoup de ses congénères, Kleo est née au sein d'une famille animalienne qui aurait pu être aimante et le combler de bien des manières. Malheureusement, sa seule erreur fut de venir au monde avec des gênes qui lui vaudraient un destin bien peu enviable.

Il ne garde que très peu de souvenirs de sa plus tendre enfance et pourtant il lui semble qu'à cette époque, il était heureux. Tout du moins, il se complaisait dans un bonheur factice sans se douter de l'enfer qui viendrait le cueillir lorsqu'il aurait mûri.
Enfant, Kleo était décrit par ses éducateurs comme un petit humain sage, appliqué et discret. Il se montrait curieux de tout et avide de connaissance. Légèrement renfermé sur lui-même, il se perdait dans les livres d'histoires de la petit bibliothèque. Parfois, se montrait-il également curieux des livres réservés aux adultes, de leurs travaux et écrits. En avance sur son âge, il lui était difficile de se lier d'amitié avec les autres et il s'ennuyait extrêmement rapidement lors des leçons qui pouvaient lui être dispensées. De ce fait, il lui arrivait de se montrer turbulent et rebelle. Parfois, ses questions se faisaient bien trop pertinentes et de temps à autre ses idées sonnaient comme décadentes, peu conventionnelles voire légèrement révolutionnaires. Si bon nombres d'éducateurs s'en offusquèrent et tentèrent de le museler, l'un d'eux avoua un jour à demi-mot que si la vie l'avait doté de gênes différents, sans doute aurait-il pu faire de grandes choses. Oh, Kleo aurait sans nul doute adoré faire de grandes choses et tenter de sauver le monde, malheureusement la réalité le rattrapa bien trop vite.

A ses dix ans, comme le veut la loi, il fut placé dans un centre de dressage ou l'on tenta de le modeler afin d'en faire un parfait objet.
Si Kleo se montra relativement docile et malléable au début cela ne dura hélas pas. Très vite, ses idéaux révolutionnaires prirent le dessus. Lui, avait énormément d'idées pour changer ce monde qu'il trouvait imparfait et illogique...ce monde qui tournait d'une manière tellement étrange à ses yeux. Les dresseurs, avaient eux énormément d'idées pour le faire taire et bien vite il apprit. Il apprit que si il voulait survivre, si il voulait s'éviter un maximum de douleur et de peine alors il devrait apprendre à se taire. Cette constatation eu pour conséquence de le faire se replier encore davantage sur lui-même.
Arrivé à la majorité, le constat fut glaçant. Certes, Kleo était loin d'être idiot mais il n'excellait dans aucun des domaines requis. Trop faible pour les combats, aucun talent artistique, piètre employé de maison. Ne restait plus pour le jeune homme qu'une seule issue : le laboratoire.

Il fut déraciné, affublé d'une vulgaire numéro à cinq chiffres tatoué dans le cou et confié à une grande firme pharmaceutique en tant que sujet test. L'enfer lui ouvrait les bras.
Kléo ne garde que des souvenirs épars de sa vie en laboratoire mais ces images sont les plus douloureuses qu'il connaisse. Ses nuits sont faites de cauchemars au travers desquels il se les remémore.
Il passa deux ans, deux longues années de calvaire dans ce laboratoire. Il aurait pu en passer bien plus mais il fut sauvé par ses traumatismes. En effet, après ces années de tortures, le matricule 81194 commença à présenter des troubles psychosomatiques. Cela aurait pu ne pas alarmer les chercheurs, après tout qui s'inquiète du bien être des cobayes ? Malheureusement, les crises du sujet se faisaient de plus en plus fréquentes et violentes, pouvant aller jusqu'à la convulsion et la perte de connaissance. Ces tares faussaient les résultats et rendaient difficile le travail expérimental. Il fut donc décidé de se débarrasser de ce cobaye afin de lui en préférer un plus frais, encore en parfaite santé et qui pourrait ainsi donner des résultats bien plus probants.

C'est ainsi qu'à ses vingt, le matricule 81194 redevint Kleo et fut placé à la vente dans une boutique d'esclaves à un prix dérisoire.